70 ans de la Sécurité Sociale Française - Discours de Valérie Schmitt, Cheffe du service de la politique sociale, de la gouvernance et des normes du département de la protection sociale du Bureau International du Travail

Dans le cadre de la célébration des 70 ans de la Sécurité Sociale française, la rencontre nationale du 6 octobre 2015, à la maison de la Mutualité, à Paris, a réuni les acteurs importants de la protection sociale dans le but de réfléchir aux évolutions nécessaires des services et à la modernité de la Sécurité sociale dans le monde.

Valérie Schmitt, Cheffe du service de la politique sociale, de la gouvernance et des normes du département de la protection sociale du Bureau International du Travail, a offert un état des lieux de la situation de la protection sociale dans le monde.

 

"Nous sommes tous unis par la même vision du monde, fondée sur le partage et la solidarité. Cette vision nous a été transmise par les fondateurs de la « Sécu » française, et cette vision est toujours d’actualité aujourd’hui.

J’ai moi-même entendu parler pendant toute mon enfance de la « Caisse » par ma grand-mère, Médecin Conseil Régional de la région Rhône Alpes. J’ai donc baigné dans cette ambiance de la Sécu, et c’est peut-être aussi pour cela qu’aujourd’hui, je travaille pour le Bureau International du Travail, et notamment son département de la protection sociale, pour faire en sorte que la sécurité sociale ne soit pas une exception française, mais qu’elle devienne une réalité pour tous.

L’Organisation internationale du Travail œuvre depuis 1919, date de sa création, à la promotion de la justice sociale.

La Déclaration de Philadelphie adoptée en 1944 et qui dicte les objectifs de l’Organisation Internationale du Travail, reconnait « l’obligation solennelle pour l’Organisation internationale du Travail d’appuyer l’extension des mesures de sécurité sociale partout dans le monde, en vue d’assurer un revenu de base à tous ceux qui ont besoin d’une telle protection ainsi que des soins médicaux complets ».

La Déclaration universelle des Droits de l’Homme, affirme elle-aussi le droit à la sécurité sociale (Article 22) ainsi que le droit à la sécurité du revenu en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse, etc. (Article 25).

Les Conventions et Recommandations qui sont adoptées par l’OIT sont utilisées par les pays pour le développement de leurs systèmes de protection sociale. La Convention à laquelle on fait le plus référence encore aujourd’hui date de 1952. C’est la Convention 102, qui définit des principes directeurs pour les neuf branches de la Sécurité sociale.

Le Bureau international du Travail, pour lequel je travaille, appuie le développement de systèmes de protection sociale au travers de projets de coopération technique, ainsi que le développement et le partage des connaissances."

Un développement important de la Sécurité Sociale

"Depuis le début du 20ème siècle la sécurité sociale a connu un important développement. De plus en plus de législations existent en matière de sécurité sociale. Non seulement elles existent, mais elles sont de plus en plus complètes.

Dans près de 100% des pays du monde, il existe déjà des lois  en matière de pensions de retraite, accidents du travail et maladies professionnelles, handicap et pensions de survivants. Mais alors, pourquoi le BIT et d’autres acteurs parlent toujours d’extension de la protection sociale, si ces lois existent déjà ? Aujourd’hui, et malgré ces avancées sur le plan législatif, 73% de la population mondiale, c’est-à-dire 3 personnes sur 4, ne bénéficie pas d’une protection sociale adéquate et ceci pour au moins deux raisons :

  • soit les lois ne sont qu’imparfaitement mise en œuvre ;
  • soit elles ne portent que sur une petite partie de la population de ces pays : les travailleurs du secteur formel et leurs familles.

Cette situation laisse la grande majorité des travailleurs dits de l’économie informelle et leurs familles sans protection.

Le BIT estime ainsi que 39% de la population mondiale n’est pas couverte pour les soins de santé ; 50% des enfants vivent dans la pauvreté ; seulement 12% des chômeurs reçoivent des allocations de chômage et 50% des personnes âgées ne reçoivent aucune pension de retraite. Cette faible couverture n’est pas acceptable sur le plan des droits de l’homme. C’est aussi un frein au développement économique et social. En développant le capital humain et la productivité des travailleurs, en stimulant la demande intérieure et en favorisant les transformations structurelles de l’économie, la protection sociale contribue en effet à la croissance économique, au développement social, et à la création de sociétés justes et inclusives."

La protection sociale comme stabilisateur de l’économie

"Le rôle de la protection sociale comme stabilisateur de l’économie a été reconnu avec force lors de la crise de 2008, et dès 2009 les Nations Unies ont lancé l’initiative du socle de protection sociale qui vise à doter tous les pays du monde de garanties minimales de protection sociale, afin que ce droit à la protection sociale devienne une réalité pour tous. Cette initiative a été renforcée en 2012 par l’adoption à l’unanimité par les 185 Etats membres de l’OIT de la Recommandation sur les socles de protection sociale (R202). Ce nouveau standard international offre des principes directeurs facilitant la mise en place des socles nationaux de protection sociale. Le 27 Septembre 2015, les objectifs de développement durable (ODD) ont été adoptés, et confirment l’importance de la protection sociale pour l’éradication de la pauvreté, la réduction des inégalités et le développement durable des pays de la planète."

L’importance de la notion d’universalité

"Le principe directeur de la Recommandation 202 est l’universalité de la couverture. La mise en place des socles de protection sociale permet donc de garantir à tous un accès à au moins quatre garanties essentielles :

(i) l’accès aux soins de santé ;

(ii) l’accès à l’éducation, à la nutrition et aux soins infantiles ;

(iii) l’accès à la sécurité du revenu pour les personnes en âge de travailler qui ne peuvent subvenir à leurs besoins, et

(iv) l’accès aux pensions de vieillesse.

Les socles de protection sociale peuvent être mis en œuvre au travers de différents types de mécanismes tels que l’assistance sociale, l’assurance sociale ou des régimes partiellement contributifs. Et c’est en cela que certains pays ont beaucoup à apprendre des pays d’Europe et de l’OCDE."

Quelques exemples

"Un nombre grandissant de pays en développement et à revenu intermédiaire s’attellent à la tâche de garantir le socle à leurs populations. Certains pays sont parvenus à la couverture universelle pour la santé - c’est le cas de la Thaïlande ou de la Chine -, les prestations pour les enfants - c’est le cas de la Mongolie ou de l’Afrique du Sud -, la maternité - cas de l’Argentine -, la protection des revenus pour les personnes en âge de travailler en milieu rural – cas de l’Inde et de l’Afrique du Sud -, les pensions de retraite – cas de la Chine, la Bolivie, la Namibie et du Cap Vert. "

Un financement par la coopération

"Le BIT estime que le fonctionnement des socles (prestations et frais administratifs) peut être financé par les ressources nationales dans la plupart de ces pays. Il couterait en moyenne 2.9% du PIB de ces pays. En revanche, leur mise en place demande des investissements de départ (développement des capacités, appui à la mise en œuvre opérationnelle) pour lesquels les pays ont besoin d’aide de la communauté internationale au travers de coopérations bilatérales, multilatérales et Sud-Sud. Pour appuyer la mise en place des socles de protection sociale le BIT vient de lancer son programme mondial sur les socles de protection sociale pour tous. L’objectif est que d’ici à 2020, 21 pays auront avec l’appui du BIT et de ses partenaires réussi à mettre en place un socle pérenne et fonctionnel basé sur la loi, et que 130 millions de personnes auront un meilleur accès à la protection sociale. L’extension de la protection sociale est plus que jamais un projet partagé. Un nombre grandissant de gouvernements, syndicats, organisations patronales, ONGs, agences des nations unies, et autres partenaires du développement sont unis pour mener à bien ce projet et étendre la sécurité sociale à ceux qui en sont dépourvus.

Nous espérons ainsi nous montrer dignes des fondateurs de la sécurité sociale française qui ne concevaient pas de progrès économique sans partage et redistribution."