Social Security in the Americas

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Les différences sous-régionales dans les Amériques

Les analystes tendent à diviser les Amériques en plusieurs sous-régions, qui partagent une certaine homogénéité et des défis communs. Une des divisions peut être celle qui rassemble, d'un côté, le Cône Sud et le Brésil, les Andes, la région hispanique de l'Amérique centrale et le Mexique, les Caraïbes, et les États-Unis et le Canada, de l'autre. Dans l'ensemble, il y a de grands pays avec des marchés intérieurs solides, qui sont une source de dynamisme économique pour toute la région, tels les États-Unis et le Brésil; et il y a des pays moins grands avec des économies ouvertes et une forte vulnérabilité aux chocs extérieurs, comme la plupart des pays d'Amérique centrale et des Caraïbes. Par ailleurs, les résultats d'un passé colonial et du développement moderne ne sont pas uniformes dans la région des Amériques. Les zones hispanophones e lusophones, ont poursuivi durant la plupart du 20ème siècle un modèle de croissance cyclique qui a, à la fois, généré une concentration des revenus et étendu l'emploi informel et précaire à la plupart de la population. En revanche, dans les pays où l'anglais et le français prédominent, le développement économique a plutôt conduit à une hétérogénéité sociale moins marquée qu'en Amérique latine. Au-delà du contexte historique et de développement, le rôle accordé à l'Etat et donc les options pour introduire la sécurité sociale n'ont pas été les mêmes dans ces deux grandes zones.

La crise économique et financière et les politiques du marché du travail

La dernière crise économique et financière a fortement affecté la région et a démontré une fois de plus la nécessité d'améliorer et de développer la sécurité sociale comme une condition essentielle pour aboutir à des résultats différents de ceux obtenus dans le passé. Une leçon importante consiste en la nécessité d'introduire des politiques visant à faire face au risque de chômage là où de telles politiques n'existent pas. Dans les zones où des régimes de protection contre le chômage ont déjà été introduites, la couverture a besoin d'être améliorée; et la coordination avec les politiques du marché du travail, augmentée. Cela inclut non seulement les régimes d'assurance chômage, mais aussi les services de l'emploi, les travaux publics, la formation et la requalification, ainsi que la formation professionnelle. La plupart des pays de la région ont amélioré leurs politiques dans ce domaine entre 2009 et 2010, en changeant les critères d'admissibilité et la durée ou le nombre de versements effectués aux personnes des secteurs et des régions géographiques les plus affectés par la crise. En même temps, les récents tremblements de terre en Haïti et au Chili, les inondations récurrentes, la sécheresse, les ouragans et autres catastrophes climatiques ont rappelé à la région une fois de plus l'urgente nécessité de mesures politiques qui permettent de réagir rapidement aux catastrophes naturelles.

Le rôle des secteurs public et privé dans les régimes de pensions

La région figure parmi les plus innovantes en termes de développements en sécurité sociale, que ce soit en matière de principes contributifs, d'aide sociale ou de programmes de prestations universelles. Dans les années 1980, le Chili fut le premier pays à lancer une série de réformes radicales de la sécurité sociale, notamment du système des pensions et des services de santé, guidé par les principes de l'individualisation des risques, de la privatisation de l'administration, du financement des régimes et de l'évolution du rôle de l'État vers un rôle de superviseur du secteur de l'assurance issu de ces réformes. Le rôle de l'État en tant que pourvoyeur de prestations et de services fut autorisé seulement pour couvrir les plus pauvres au moyen d'un "filet de sécurité sociale" plutôt maigre. Durant les années 1990, plusieurs pays de la zone hispanophone suivirent l'exemple du Chili, en mettant en oeuvre des réformes des régimes d'assurance vieillesse, maladie, accidents et chômage, toutes guidées par les mêmes principes (développés d'abord par des universités et des groupes de réflexion américains principalement, et promus par la suite par des institutions financières multilatérales).

Dans les années 2000, certaines des lacunes de ces réformes sont devenues évidentes, déclenchant ainsi de nouvelles réformes pour faire face aux niveaux insuffisants de couverture chez les travailleurs actifs, au faible accès aux pensions et à la faible valeur réelle des prestations des nouveaux régimes. La fragmentation institutionnelle et la concentration du marché augmentèrent les coûts opérationnels et révélèrent la nécessité d'appliquer des normes plus strictes lors du contrôle de ces systèmes. Les pays qui avaient introduit des réformes radicales durant les décennies précédentes mirent donc en oeuvre des mesures politiques pour s'attaquer à ces problèmes par diverses voies: en rendant à l'État le rôle de pourvoyeur des pensions et services de base, en rééquilibrant le poids des pensions publiques et privées, en concevant des prestations publiques sous forme de prestations universelles ou de solidarité, en renforçant le contrôle des marchés privés, en introduisant des politiques visant à inverser la tendance à la baisse de la couverture des nouvelles structures; et / ou, suite à la crise économique des années 1980 et 1990, et dans le cas de l'Argentine, en réaffectant à l'État l'administration du système de retraite obligatoire, en éliminant les comptes individuels, en retournant à un régime à prestations définies, et en établissant des politiques pour pour inverser la tendance à la baisse de la couverture et la prévision d'une pauvreté plus élevée parmi les personnes âgées au cours des prochaines décennies. Il est important de noter que dans aucun cas il ne s'est agi d'un simple «retour» à la situation antérieure aux réformes radicales, surtout parce que celles-ci avaient perdu de leur crédibilité durant l'hyperinflation et à cause de la fragmentation et de la mauvaise gestion des années 1970 à 1980. De leur côté, les deux plus grands pays de la région - les Etats-Unis (1983) et le Brésil (1998, 2003) - ne mirent en oeuvre aucune réforme structurelle des pensions durant ces décennies, mais appliquèrent des ajustements paramétriques à leurs régimes d'assurance sociale classiques et renforcèrent les piliers complémentaires à cotisations définies, gérés par le secteur privé et financés entièrement par capitalisation.

Des approches innovatrices: la réduction de la pauvreté grâce aux systèmes de transferts monétaires

En termes de programmes à caractère non contributif, il y a deux innovations principales à noter. La première concerne l'évolution des programmes novateurs de transferts de fonds (conditionnels ou non), qui sont passés d'un «filet de sécurité» plutôt simple durant les années 1990 vers des programmes visant une couverture plus large; la mise en contact des bénéficiaires avec les services publics et le développement de stratégies complémentaires, dans le but de (re)construire le capital humain et social et de briser le cycle de transmission intergénérationnelle de la pauvreté. Ces programmes sont principalement des transferts en espèces destinés aux familles pauvres avec des enfants et ont pour condition la fréquentation scolaire et la conformité au programme des services de santé (vaccinations et examens médicaux).

L'introduction de tels programmes sous conditions est un pas dans la bonne voie dans la définition des priorités appropriées des dépenses sociales étant donné que le taux de pauvreté des enfants et des adolescents est plus élevé que dans n'importe quel autre groupe de presque tous les pays de la région. Les deux programmes pionniers ont été Bolsa-Familia (Brésil, premiers programmes en 1995) et Oportunidades (Mexique, 1997). Aujourd'hui, la plupart des pays de l'Amérique latine ont des programmes similaires (p.ex. en Bolivie, Bono Juancito Pinto, qui cible les enfants et Bono Juana Azurduy, pour les femmes enceintes; au Paraguay, Tekoporã; en Colombie, Familias en Acción, etc.). Un transfert en espèces direct est versé à chaque famille couverte (souvent au nom de la mère des enfants), ce qui permet de remplacer l'approche plus clientéliste de la distribution de paniers de nourriture ou « bon alimentaires », habilitant ainsi l'autonimisation des bénéficiaires.

L'évaluation de ces nouveaux programmes a également montré un niveau élevé de précision atteint par les mécanismes de ciblage et un impact considérable sur la réduction de la pauvreté et des inégalités. Cet impact est en général proportionnel à la couverture et aux dépenses du programme. Les pays latino-américains dépensent normalement entre 0,2 et 0,5% de leur PIB sur ces programmes. Une évolution particulièrement intéressante est l'introduction du programme Asignación por Universal Hijo (AUH) en Argentine (2009), qui l'intègre à la prestation contributive Asignación Familiar et qui sera géré par l'institution d'assurance sociale ANSES. Il est ainsi prévu d'universaliser la couverture des allocations familiales, avec une dépense de 0,9% du PIB, et d'avoir un impact majeur sur la pauvreté des enfants et des jeunes dans le pays. L'Uruguay a aussi beaucoup élargi la couverture des allocations familiales, Asignación Familiar, grâce au programme Plan Equidad (2007), tous deux gérés par l'institut d'assurance sociale BPS. Une telle coordination entre les transferts en espèces conditionnels et les prestations familiales contributives n'existe pas encore dans d'autres pays (comme le Brésil).

La deuxième innovation est l'introduction dans plusieurs pays des pensions non contributives ou fortement subventionnées. Celles-ci sont surtout conçues comme des prestations d'aide sociale pour les personnes âgées, telles que Bono de Desarrollo Humano en Equateur, le programme Programa 70 y Más au Mexique, Régimen No-Contributivo au Costa Rica, Beneficio de Prestação Continuada au Brésil, Pensiones Asistenciales por Vejez, Invalidez ou Madres de Siete Hijos en Argentine, ou Pensión por Vejez en Uruguay en sont des exemples. Le Pérou a également annoncé son intention d'introduire une pension d'aide sociale pour les personnes âgées.

Outre les pensions d'aide non contributives (ciblées sur la pauvreté), il existe trois exemples d'innovations, à savoir Renta Dignidad en Bolivie, Previdência Rural au Brésil et Pension Solidaria au Chili. Renta Dignidad est une prestation de vieillesse de base, universelle et non contributive pour tous les Boliviens âgés de 65 ans ou plus. Cette prestation est financée par une taxe sur le pétrole et le gaz produits en Bolivie et par les revenus d'une partie des actions d'un ensemble d'entreprises boliviennes publiques et privatisées. Au Brésil, gâce à Previdência Rural, les pensions de base et autres prestations monétaires s'étendent aux petits agriculteurs et pêcheurs indépendants, ainsi qu'aux membres non rémunérés de leurs familles; le montant des cotisations est prélevé sur la production vendue et doit être payé par l'acheteur. Depuis 2008, au Chili, la pension solidaire vieillesse/invalidité a remplacé l'ancienne Pensión Asistencial et vise de manière générale les personnes âgées de 65 ans ou plus, qui ne reçoivent aucune autre prestation et appartiennent aux 60% des Chiliens les plus pauvres. Si la personne âgée bénéficie d'une prestation contributive très faible à cause d'une interruption des cotisations, un Aporte prévisionnel Solidario vient compléter la prestation contributive. La Pension Solidaria et l'Aporte Previsional Solidario sont tous deux financés par les impôts.

Outre ces innovations, il est important de noter que le Chili et l'Uruguay ont introduit des règles visant à offrir aux femmes une aide financière pour la maternité et pour compenser une densité de cotisation plus faible, ce qui constitue un contraste important par rapport à la discrimination entre les sexes des précédentes réformes de sécurité sociale dans la région. Les travailleurs indépendants sont maintenant obligatoirement couverts et des politiques ont été mises en place afin de formaliser l'emploi dans un certain nombre de pays. Ces efforts qui visent à augmenter la couverture incluent également la mise en place de "programmes d'éducation sur la sécurité sociale" très intéressants dans toute la région, programmes destinés à la fois aux enfants à l'école et aux adultes sur le marché du travail, dans le but d'accroître la sensibilisation aux droits et à l'importance d'être affilié aux régimes de sécurité sociale.

Les défis pour l'extension de la sécurité sociale dans les Amériques

Extension horizontale et verticale de la sécurité sociale

Malgré le rôle important de ces progrès pour démontrer que l'introduction d'un "socle de protection sociale" est possible, la région a plusieurs défis à relever pour étendre la sécurité sociale. Le premier défi est sans doute la nécessité de continuer à étendre la couverture, soit sur le plan horizontal, en augmentant le nombre de personnes couvertes, soit sur le plan vertical, en augmentant le niveau des prestations et des risques sociaux couverts. En 2006, les ministres du Travail et de la Protection sociale des Amériques ont signé l'Agenda de l'hémisphère pour le travail décent, qui comprend l'objectif d'élargir la couverture de protection sociale de 20% d'ici 2015. La bonne nouvelle est que, sur la base des données des enquête sur les ménages, la couverture de santé et de retraite est passée de 54,5% (2000) à 60,8% (2008). Si l'on considère seulement les travailleurs salariés, la couverture est passée de 71,5% (2000) à 76% (2008). Heureusement, cette croissance de la couverture contraste fortement avec les taux de couverture décroissants enregistrés au cours des deux décennies précédentes. Toutefois, l'évaluation de la couverture, tel que discuté ci-dessus, doit inclure non seulement les programmes de santé et de retraite officiels, mais aussi les progrès concernant les programmes innovants et non contributifs qui ont favorisé une amélioration des indicateurs sociaux ces dernières années. Enfin, il est important de noter que la plus grande expansion de la couverture associée à une réforme de la sécurité sociale dans les Amériques au cours de cette période sera sans doute celle apportée par la réforme de la santé aux États-Unis de 2010, réforme qui a l'intention d'inclure environ 50 millions de personnes. Au cours de la dernière décennie, les efforts partout dans les Amériques visant à augmenter le réseau d'accords bilatéraux et multilatéraux sur la sécurité sociale pour les travailleurs immigrés ont apporté des améliorations dans la couverture, en empêchant les immigrants du secteur formel de perdre les droits ou dus attendus ou déjà acquis.

La coordination des différents régimes de sécurité sociale

Malgré de récentes améliorations, un autre défi pour les systèmes de sécurité sociale d'Amérique latine est celui de renforcer la coordination voire l'intégration entre les politiques et programmes sociaux les plus importants. L'Argentine et l'Uruguay apportent des exemples probants de systèmes intégrés de gestion de programmes d'allocations familiales. Plusieurs autres initiatives ont également vu le jour ces dernières années, dont Chile Protege (Chili), Estrategia Vivir Mejor (Mexique), et Sistema Unificado de Assistência Social (SUAS, au Brésil), contribuant ainsi à un processus d'apprentissage continu.

D'importants progrès technologiques et de gestion des politiques de protection sociale ont également été enregistrés, des progrès qui doivent par ailleurs être soutenus. Les organes de gestion de la sécurité sociale ont été professionnalisés et modernisés et il y a eu des améliorations dans: l'offre de services de communication à distance (avec la baisse du coût des services Internet et téléphoniques), le développement de partenariats créatifs reliant les services d'attention et l'octroi de prestations et services parvenant ainsi à une augmentation de l'efficacité et de la transparence des systèmes en place. Ces progrès ont été soutenus par la diffusion généralisée des valeurs comme le professionnalisme et l'efficacité de gestion du secteur public, ainsi que par la baisse des coûts des technologies de l'information. Les progrès technologiques, lorsqu'ils sont appliqués à la gestion de bases de données et au recouvrement des recettes de la sécurité sociale, peut en outre accroître le respect des obligations et améliorer les efforts dans la lutte contre la fraude.

Les changements démographiques

Le processus de vieillissement de la population est un phénomène qui affecte manifestement la région des Amériques, bien que les pays soient à des stades différents dans le processus de transition. La tendance générale dans la région a été une baisse séquentielle de la mortalité infantile, suivie à la fois d'une augmentation de l'espérance de vie et d'une baisse de la fécondité. Cette tendance a fit qu'une population jeune au départ soit devenue une population de plus en plus vieillissante. Dans les Amériques, cette situation a évolué beaucoup plus rapidement qu'en Europe occidentale, où le processus de vieillissement a commencé au 19ème siècle. La réussite des politiques publiques ainsi qu'un plus grand accès aux services sanitaires, à l'eau potable, aux soins de santé et à l'éducation et l'augmentation des rémunérations, ont été des éléments déclencheurs et accélérateurs du processus de vieillissement dans les Amériques. La transition démographique de la région va certainement changer la structure de la demande de services de santé et de protection sociale au cours des prochaines décennies. Les politiques visant à soutenir la maternité devront permettre aux femmes de concilier la maternité et la participation au marché du travail. L'assurance contre les accidents du travail et les programmes de prévention d'accidents devront s'adapter au risque croissant de maladies et d'accidents du travail au fur et à mesure du vieillissement de la population active et de la hausse des taux de dépendance qui en résulte. Les politiques de l'emploi en général et les politiques de protection contre le chômage en particulier doivent également prendre en compte le vieillissement de la main-d'oeuvre. Beaucoup a déjà été écrit sur l'effet de cette situation sur la viabilité financière des régimes de sécurité sociale et les adaptations qui seront nécessaires. Toutefois, lors de la réaction à ce défi démographique, les pays des Amériques devraient éviter de répéter les réformes radicales coûteuses des années 1980 et 90, qui n'ont pas livré toutes leurs promesses et on, en fait, restreint la couverture. L'adaptation des régimes contributifs et non contributifs à une population plus âgée peut se faire progressivement et par étapes, au fur et à mesure que le processus de vieillissement avance. L'on devrait veiller à ce que les réformes n'accroisent les disparités en faisant augmenter la demande de fonds de la fiscalité générale de la part de systèmes à faible couverture. Les Conventions de l'OIT fournissent une référence importante, en particulier la C. 102, qui a été ratifiée par le Brésil en 2009 et dont l'application est actuellement à l'étude dans plusieurs parlements en Amérique latine (Argentine et Uruguay) ou à l'étude dans les gouvernements d'un certain nombre de pays (p.ex. le Paraguay et le Honduras).